Canard PC donne leur avis sur la presse papier

Entre le "Doritos's Gate" côté anglais, les suspicions sur certains tests ou médias en France et la faillite de la société M.E.R.7 (éditant Jeux Vidéo Magazine, PC jeux, Joystick, Consoles+, Micro Actuel, etc.), l'époque est au débat sur la qualité, la responsabilité et l'avenir de la presse de jeu vidéo. Ce débat ne peut laisser indifférent ni la rédaction de Canard PC, ni les responsables (tous journalistes) de sa société éditrice, Presse Non-Stop.
D'ordinaire, nous choisissons collectivement de rester en retrait, préférant aborder dans nos propres pages les sujets qui méritent réflexion. Mais cette fois, il nous a semblé indispensable de faire savoir notre point de vue plus largement. C'est le sens de notre participation à l'émission "Arrêt sur images" du vendredi 30 novembre, consacrée à la presse de jeu vidéo (vous pouvez regarder cette émission pour seulement 1 euro, et participer ainsi à l'indépendance de "Arrêt sur images" qui ne vit que de ses abonnements).

Nous avons également jugé utile de réagir aux prédictions concernant la mort de la presse papier dans ce secteur, c'est pourquoi vous trouverez ci-dessous l'intégralité de la rubrique "Au coin du jeu" du numéro 266 de Canard PC, en vente en kiosque aujourd'hui même.

Et puisque nous sommes dans les mises au point, attendez-vous à en subir une prochainement sur notre façon d'aborder notre métier et sur la signification que nous donnons au terme "journalisme" dans le jeu vidéo.

***

Malgré elle, la presse de jeu vidéo n'est pas morte

Le 8 novembre dernier, la société M.E.R.7 (éditeur entre autres de Jeux Vidéo Magazine, Joystick, PC Jeux, Micro Actuel ou Consoles+) a été mise en liquidation judiciaire. En langage courant, c'est une faillite. À l'heure où vous lirez ces lignes, les titres, les marques, les fichiers, bref tout ce que possédait la société aura été vendu aux enchères au plus offrant.

Que l'on soit clair : cet effroyable gâchis est l'aboutissement d'un long processus, dont l'équipe actuelle de la société MER7 ne peut être tenue responsable. Elle n'a fait en effet qu'hériter il y a un an du passif catastrophique d'une autre société qui s'est appelée successivement Edicorp, Future France puis Yellow Media.

Quelques-uns des journaux concernés reparaîtront probablement, sous une forme ou sous une autre. On voit mal par exemple comment Jeux Vidéo Magazine, une des rares réussites commerciales de ces dernières années dans la presse de jeu vidéo, pourrait ne pas trouver repreneur. Mais la plupart ne survivront pas.

Dirigeants cherchant des excuses ou médias online profitant de l'aubaine pour se pousser du col, il ne manquera pas de commentateurs pour mettre cette faillite sur le dos de la crise de la presse et prédire l'inéluctable disparition du support papier pour les magazines de jeu vidéo.

Foutaises.

Cette faillite n'est pas celle de la presse en général, c'est celle d'un modèle en particulier.

Un modèle conçu par des dirigeants qui, de toute leur vie, n'ont jamais écrit une ligne ailleurs que dans un tableur Excel. Un modèle économique reposant sur un mercantilisme bas-de-gamme qui lui a fait rater les tournants majeurs de ces dix dernières années.

Obsédés à l'idée de vendre les lecteurs aux annonceurs, ces dirigeants ont toujours refusé d'investir dans la qualité rédactionnelle alors qu'il s'agissait de la seule façon de convaincre le public d'acheter plutôt que de consommer gratuitement online.

Arc-boutés sur une logique de "plus-produit" qui devait pousser les lecteurs à se procurer non un journal mais un bonus (jeux complets, CD exclusif pour les magazines officiels…), ces dirigeants visionnaires vantaient une presse qui n'en avait plus que le nom et qui s'est retrouvée balayée par le triomphe de la dématérialisation, leur laissant sur les bras des magazines aux équipes réduites dont le prix élevé n'avait plus aucune justification.

Cette faillite, c'est aussi celle du mépris. Mépris des lecteurs, d'abord, à qui les As éclairés du marketing croyaient pouvoir fourguer impunément n'importe quoi, à commencer par des journaux souvent transformés en prospectus publicitaires à force de compromissions avec les annonceurs. Par extension, mépris aussi des équipes rédactionnelles, trop proches de ces méprisables lecteurs (en âge, par certains codes de la jeunesse et par cette passion futile pour la technologie ou les jeux vidéo). Les journalistes étaient pourtant la clé permettant de produire une valeur ne dépendant pas du bon vouloir occasionnel de tel ou tel éditeur.

La triste fin de ce groupe de presse n'est représentative ni de l'état ni de l'avenir de la presse de jeu vidéo en kiosque. La presse papier subit des mouvements violents de transformation, mais pour peu qu'elle cherche à convaincre d'abord ses lecteurs de sa qualité et qu'elle ne se précipite pas trop à les vendre aux plus offrants de ses annonceurs (par ailleurs nécessaires), elle survivra très bien, merci pour elle.

Et si vous lisez cette prédiction sur du papier, si elle est imprimée dans les pages d'un journal dont les ventes augmentent tous les ans depuis 2003, si elle est publiée par une société fondée à 100 % par des journalistes, et si l'auteur, comme tous les autres fondateurs, a choisi un jour de démissionner plutôt que de travailler pour Future / Yellow Media, ce n'est bien sûr qu'une coïncidence.

(signé Ivan Le Fou, paru le 3 décembre dans Canard PC n°266)



Mise à jour (3/12 à 11:28):

Le tribunal de Commerce compétent concernant la liquidation de la société MER7 a reçu plusieurs offres concernant les marques et les magazines du groupe. D'après ce que nous savons, les offres les plus importantes concernaient au minimum Jeux Vidéo Magazine, PC Jeux, Consoles+, et peut-être Joystick. Après réflexion, Presse Non-Stop n'a pas participé à ces enchères. Comme nous le pressentions, il est extrêmement probable que Jeux Vidéo Magazine reparaîtra sinon en 2012, au moins début 2013. Mais pour en savoir plus, il faudra attendre la décision du tribunal (qui devrait intervenir le mercredi 5 décembre) et les déclarations d'intention des acquéreurs.