Goichi Suda (2 janvier 1968) que l'on surnomme communément Suda 51, est le président du studio de jeu-vidéo japonais Grasshopper Manufacture. Après avoir été reconnu par la communauté hardcore pour ses jeux à l'identité très forte et aux idées novatrices, le créateur s'est rendu plus accessible avec la série des No More Heroes.
Le pseudonyme du créateur cache en fait un jeu de mot amusant, mais surtout pour ses compatriotes... En effet, ceux qui ont des notions de japonais auront compris que Suda 51 se prononce « Suda Go Ichi » pour nos amis nippons. Ces jeux de mots à base de chiffres sont assez courant dans la culture manga. On trouvera même l'exact inverse de ce jeu de mot dans le célèbre shonen Bleach : le héros Ichigo (« Ichi Go ») arbore fièrement le chiffre 15 sur bon nombre d'illustrations.
Les débuts de 51 :
Mais je m'égare... Revenons à la carrière de celui qui sera ensuite surnommé le Tarantino du jeu-vidéo. Goichi Suda n'a pas toujours travaillé dans les jeux-vidéos. Il a entamé la vie active dans un secteur qui n'a rien à voir : les pompes funèbres... On imagine assez mal où se trouve la connexion entre ces deux domaines, mais le créateur affirmera plus tard s'être beaucoup inspiré de ce premier emploi pour dépeindre la mort dans ses jeux. Goichi hait son métier par dessus tout. Lui, son truc, ce serait plutôt le catch. Passionné de ce sport depuis toujours, il décide de postuler pour un poste chez Human Entertainment, qui édite entre autres la série de jeux de catch Fire Pro Wrestling, alors célèbre au pays du soleil levant. A sa grande surprise, il sera convoqué en entretien et obtiendra finalement un poste de scénariste pour les Super Fire Pro Wrestling sur Super Nintendo.
Dans Super Fire Pro Wrestling Special, il vaut mieux ne pas trop s'attacher au héros... (Super Famicom)
On pourrait penser que le genre ne se prête pas spécialement aux histoires épiques et complexes. Pourtant Goichi parvient déjà à se distinguer en tant que scénariste avec entre autre un cas de figure intéressant : dans Super Fire Pro Wrestling Special, le héros perd son mentor (qui se fait assassiner devant ses yeux), et la femme de ses rêves le rejette. Après avoir prouvé qu'il est le meilleur catcheur au monde, il décide que tout ça n'a aucun sens et met fin à ses jours... Ceux qui connaissent notre homme comprendront pourquoi je trouve ça « intéressant ». Non seulement, ce n'est pas banal, mais en plus, ça nous laisse entrevoir la suite des événements : des scénarios violents et décalés, du sang par hectolitres, et la folie furieuse qui semble émaner de chacune des œuvres de Goichi.
51 créer sa propre équipe :
Après le catch, Goichi travail sur la série Syndrome (Playstation), une trilogie de jeu d'aventure qui frise la visual-novel. Le jeu met en scène des lycéennes qui doivent luter pour leur survie. Bien qu'ils soient reconnus pour leur ambiance et leurs scénarios excellents, les trois jeux de la série Syndrome sont totalement éclipsés par la série Resident Evil, et essuient un échec cuisant qui obligera Human Entertainment à fermer ses portes.
Twilight Syndrome ne verra malheureusement pas le jour chez nous, à moins que Suda 51 décide de continuer sa série de remakes DS... (PS1)
Goichi ne se laisse pas abattre pour autant et décide de monter son propre studio : Grasshopper Manufacture. Le premier jeu de Grasshopper voit le jour en 1999. C'est un jeu d'aventure sur PSX, intitulé The Silver Case. Il est à noter que Grasshopper s'occupera d'un certain nombre d'adaptation d'animés ou de manga en jeu-vidéo. Ces différents projets ne sont bien sûr pas considérés comme les plus grandes œuvres du studio, mais contribuent à sa santé financière. The Silver Case, en revanche, est considéré comme le premier jeu culte de Goichi, sa première œuvre personnelle, et une de celles qui l'aidera à construire son style si particulier. Malheureusement, le jeu est considéré comme trop violent, trop sexuel et trop obscur. Il ne sortira donc pas du Japon.
La jaquette de la version PS1 de The Silver Case (PS1)
Le deuxième jeu culte sera développé sur PS2. Il s'agit de Flower, Sun and Rain, un jeu d'aventure et d'enquête qui verra le jour en 2001. Le principe de FSR est pour le moins original, puisque le jeu propose au joueur de revivre la même journée encore et encore, en découvrant à chaque fois de nouveaux indices qui le rapprocheront de la vérité. Bien que plus accessible, le jeu ne connaitra malheureusement pas le succès qu'il mérite.
La version DS du très étrange Flower, Sun and Rain (PS1/DS)
La suite sera plus reluisante pour Grasshopper, puisque Goichi conclu un accord avec Capcom qui accepte de financer en partie son prochain projet. A cette époque, Capcom recherche des partenaires pour mettre sur pieds les tristement célèbres « Capcom 5 », cinq exclusivités pour la nouvelle console de Nintendo, la Gamecube. Les Capcom 5 n'ont malheureusement pas abouties, certains jeux ne verront même pas le jour, tandis que d'autres passeront multi-plateforme et verront finalement le jour sur la console concurrente : la PS2. C'est le cas du jeu de Goichi, le célèbre Killer7 sorti en 2003. Le jeu, bien que très obscur au niveau du scénario, et très osé au niveau du gameplay, connaîtra un succès certes modeste, mais capital pour le petit studio. Pour la première fois dans l'histoire de Grasshopper, Killer7 aura droit à une sortie internationale et permettra au studio de passer à la vitesse supérieur. En effet, bien que les chiffres de vente au Japon soient très décevants, le jeu connaîtra d'avantage de succès en dehors de l'archipel. C'est un phénomène nouveau pour Goichi, qui se répétera pourtant avec ses projets suivants.
Vous n'avez pas encore joué à Killer7 ? Courrez vous l'acheter. (GC/PS2)
La reconnaissance internationale pour 51 :
Fort de cette expérience positive, Goichi prend bonne note des commentaires des critiques internationaux. Il note que Killer7 est considéré comme trop étrange, tant au niveau de l'histoire qu'au niveau de la jouabilité. Mais il se rend également compte que son style décalé et sans concessions fait mouche auprès d'un certain public. C'est ainsi que Goichi décide de lancer son prochain jeu, plus orienté action, moins alambiqué et plus grand public : No More Heroes sur Wii. No More Heroes a des allures de beat'em all déguisés en jeux d'aventure. Le jeu profitera également de la situation de la Wii à cette époque : elle manque de jeux traditionnels. C'est une très bonne chose pour Grasshopper puisque leur jeu se situe sur un créneau quasiment vide. Ce sera également un des premiers jeux à être qualifié de « slow burner ». Il s'agit d'un nouveau cycle de vente apparu avec la Wii, et jusque là inconnu sur le marché du jeu vidéo : les jeux se vendent peu, mais sur une longue durée. L'un dans l'autre, No More Heroes connaîtra finalement un succès correct pour une nouvelle licence, qui plus est lancée par une équipe inconnue du grand public. Ce jeu reste à ce jour la plus grosse vente du studio.
Sanglant, atypique, défouloir et jouissif, No More Heroes est déjà culte. (Wii)
Après No More Heroes, Suda Goichi s'attaquera à la DS, avec la série des Contact. Un RPG très étrange dans lequel le créateur semble retrouver ses vieilles habitudes : scénario opaque, gameplay totalement décalé... et malheureusement, petit succès. Goichi décide également de réaliser des remakes de ses premiers jeux sur DS. Flower, Sun and Rain bénéficiera ainsi d'une sortie internationale, tandis que The Silver Case est toujours en développement.
On a très envie de s'attacher à Contact, tant les bonnes idées sont nombreuses. Mais le temps d'adaptation peut sembler trop long pour certains. (DS)
Persuadé que No More Heroes est un jeu conçu avant tout pour la Wii, Goichi insistera pour réaliser la suite sur le même support. Les instances financières parviendront tout de même à sortir une version PS3 et 360 du premier jeu, intitulée No More Heroes Paradise. En ce qui concerne la suite des aventures de Travis, No More Heroes 2 Desperate Struggle connaîtra un réel succès critique, marquant la reconnaissance de l'auteur par les journalistes, qui ne lui avaient donné que des notes mitigées jusque là.
Travis revient dans une suite flamboyante, et Goichi obtient enfin des critiques unanimes. (Wii)
Punk is not dead :
Nul doute que Suda 51 est maintenant passé à la postérité. Souvent comparé à Tarantino ou à Kitano pour l'aspect violent et décalé de son œuvre, il fait figure de défenseur du jeu-vidéo en tant qu'art. C'est son coté rebelle qui le pousse à ne pas céder aux caprices du marché et à continuer de créer des ovnis vidéo-ludiques. Il aura finalement réussi à imposer son style, sa vision du jeu-vidéo façon « punk ». Le nouveau logo de Grasshopper arbore d'ailleurs fièrement la devise « Punk's not dead ».
Le logo n'est finalement pas plus étrange que les jeux...
So what's next, 51 ?
Pour la suite, Goichi a plusieurs projets en cours, la plupart entourés de mystère... On chuchotte qu'il préparerait quelque chose avec Shinji Mikami, le créateur des Resident Evil... Pour finir cet article, je vous propose de méditer sur une citation de cet étrange personnage :
« Je vous assure que les jeux vidéo sont une extension d'une forme d'art. A mon avis, la plus haute forme d'art est l'existence des jeux vidéo. »