Tout d'abord le mot "geisha" n'est pas si usité qu'on pourrait le croire par les Japonais. Il désignait les courtisanes à l'époque médiévale. Avec l'arrivée des artistes qu'on nomma "geiko", ce terme disparu peu à peu, mais au final, il décrit également ce que furent ces femmes : des artistes dépositaires d'un art traditionnel mais aussi des femmes qui durent se plier à certaines contraintes pour survivre.
Notons donc que les geishas n'étaient pas des prostituées mais effectivement des courtisanes car, dans leur existence, elles ne se livraient pas à plus d'un ou deux hommes fortunés, leurs protecteurs.
Figures incontournables du Japon traditionnel, les geishas déambulaient encore il y a un siècle dans les rues des grandes villes, plus spécifiquement celles des quartiers des plaisirs ou HANAMACHI ("ville fleur"), alimentant les réunions des hommes d'affaires ou des grands seigneurs de leur présence gracieuse, de leur maîtrise des arts traditionnels, de leur art de la conversation.
Ochaya (maison de thé) actuelle dans Kyoto
La ville la plus renommée car recelant les plus célèbres geishas reste l'ancienne capitale impériale durant plus de 1000 ans: Kyoto.
On y trouvait plusieurs quartiers de plaisirs connus: Gion-Kobu, Gion-Higashi (ces deux-là regroupés en un dans les esprits: "Gion"), Monto-Cho, Kamishiguhiken, Miyagawa-Cho, Shimabara (seul disparu aujourd'hui).
Moitié 16e siècle: Gion était le quartier le plus riche en auberges servant du thé. Par la suite, elles se diversifièrent en proposant des chambres, des repas, du saké. Cette prolifération apporta l'omniprésence des maisons de thé (ochaya) dévolues à l'activité des geishas. Les autres quartiers étaient plus anciens mais plus restreints en dimensions. La communauté particulière de ces quartiers était autorisée et fut reconnue officiellement en 1813. L'âge d'or de "Gion" remonte au 19e siècle, attirant même des artistes et des hommes de lettres. Plus de 700 maisons de thé faisaient travailler près de 3000 geishas.
1867: les royalistes complotant pour restaurer le pouvoir impérial s'y cachaient volontiers car c'était des lieux sûrs, à l'abri des regards, tout se qui s'y passait ne sortait pas de leurs murs (Kogoro Katsura et son Ikumatsu qu'il épousa).
Début 20e siècle: encore plus de 1000 geishas y travaillaient, ayant bien du succès auprès des étrangers. (le millionnaire américain Serge Morgan épousa même l'une d'elle).
Chaque quartier, chaque maison de thé et chaque maison de geisha (okiya) avait son blason. Celui des okiya était arboré sur les kimonos des geishas, les autres sur les lampes en papier, les décorations animant le quartier.
Blason du Hanamachi de Gion, Kyoto.
Autrefois, devenaient geisha des jeunes filles vendues par leurs parents trop pauvres pour les nourrir. Les plus joiles avaient la "chance" de recevoir l'éducation de geisha tandis que les autres devaient passer leur existence à servir les filles de la maison qui les avait achetée. Les plus malchanceuses étaient revendues à de véritables maisons closes et devenaient prostituées. Toute jeune fille devait travailler pour rembourser le prix de son achat, celui de son logement, de sa nourriture, de ses vêtements... Sachant le prix des kimonos, du maquillage et des instruments et accessoires necéssaires à une geisha, on devine que la liberté était inccessible à ces femmes à moins de séduire un protecteur fortuné.
Intérieur d'une okiya (maison de geisha) que se partagent les geishas, vivant comme des soeurs.
Il y avait également des générations de geishas: de mère en fille lorsque cette dernière tombait enceinte de son protecteur. Illégitime, l'enfant devenait à son tour geisha. Si c'était un garçon, il grandissait tout en travaillant dans l'okiya mais devait partir à 15 ans (l'âge d'homme pendant longtemps chez les japonais) sinon il devenait la proie des commérages et embarrassait l'okiya et ses pensionnaires. Le seul métier pour homme au sein de ce microcosme matriarcal était celui d'habilleur.
Nuances:
Au lieu de Geisha, on dit "geiko" pour celle qui est confirmée dans cette activité et "maiko" pour l'apprentie.
Maiko et Geiko, cérémonie du thé.
Tout le système interne aux quartiers des plaisirs reposait sur d'étroites relations hiérarchisées entre femmes, respectant toujours l'aînesse. Les filles devaient le respect à la patronne de la maison de thé et à celle de la maison de geisha. Ensuite venait le respect dû aux geikos plus âgées, plus encore de la part des maikos.
Petite précision: il existe encore des geishas mais ce "metier" est aujourd'hui un choix fait par des jeunes filles qui aspirent aux activités artistiques traditionnelles, rêvent de recontrer un riche parti, de faire cette activité pendant un temps avant de se marier, ou bien encore refusent de rentrer dans le moule de la femme au foyer et de se marier un jour.
En règle générale (et toujours d'actualité), une geiko est garante et responsable de sa cadette maiko, elle la présente aux maisons de thé, aux clients, lui apprend les règles à suivre, la corrige dans ses erreurs, la guide et reçoit même ses confidences en cas de problème.
Une geiko dépend du travail que lui apporteront les maisons de thé car aucun homme, pas même un protecteur, n'est accepté dans la maison de geisha. Les clients vont aux maisons de thé et les geikos également pour travailler. Plus les geikos plaisent aux patronnes des maisons de thé, plus elles auront du travail et des revenus.
Le protecteur ("danna") est un homme fortuné qui se présente auprès de la patronne de la maison de geisha pour être celui qui entretiendra une geiko. Il lui paiera une rente, prendra en charge ses frais. Il peut éventuellement lui offrir des kimonos. Le mariage entre une geiko et son danna était/est chose rare car ce sont souvent des hommes déjà mariés. Leur épouse verra d'un moins mauvais oeil ce genre de liaison car elle sait que ce ne sera jamais une rivale dangereuse.
Une geiko ne peut se suffire de sa seule beauté, elle doit aussi être talentueuse en danse, en musique, en cérémonie du thé, en conversation, savoir se mouvoir avec grâce, toujours soucieuse de mettre en avant la beauté de ses parures vestimentaires, de son maquillage, de sa coiffure. Le confort est sans importance pour elle, tout repose dans l'image qu'elle renvoit.
Petite prestation de danse devant un partère de riches clients, parfois venus en couple comme cela se faisait rarement autrefois.
Sujet épineux pour finir: l'aspect commercial des plaisirs de la chair. Les geishas furent toujours considérées comme l'incarnation vivante d'une oeuvre d'art, les actrices des arts traditionnels d'un Japon attaché à son patrimoine. Mais leur vie dépendait de la générosité d'une clientèle qui espérait parfois bien plus tant la fascination pour ces créatures pouvait être attractive. Bien que cela ne soit plus d'actualité pour les geishas, il y avait deux étapes dans la vie de ces femmes. L'avant et l'après virginité. On ne passait du statut de maiko à celui de geiko que lorsque l'on perdait son "mizuage", son pucelage, entre les mains d'un homme qui payait fort cher mais ne devenait pas forcément le danna de la jeune fille. Plus généralement, ces hommes n'avaient ensuite que peu de contact avec elle. Le changement ne se traduisait par aucun contrat, aucune annonce, mais on changeait le col de la jeune fille de blanc en rouge.
A présent, on différencie les maikos des geikos par le nombre de pics sur leur nuque: Deux c'est encore une apprentie, une maiko; un seul c'est une geiko (la virginité n'est plus un critère, seul le talent compte à présent).
Le danna venait après. Il ne pouvait s'adresser qu'à une geiko. Elle devait se montrer disponible avant tout pour cet homme, qu'il s'agisse de simple compagnie ou de quelque chose de plus intime (contact qui était réservé au danna). S'il advenait que la geiko faillisse à cette promesse verbale, elle risquait de perdre son danna.
Parfois, un danna célibataire ou veuf était suffisamment épris et fortuné pour rembourser la dette de sa geiko à sa maison de geisha et épouser la belle. Mais c'était un mythe et une exception.
Cérémonie du thé, de nos jours
Une geiko dans les rues de Kyoto.
Aujourd'hui, il y a moins de 200 geishas exerçant sur tout le territoire nippon dans les maisons de thé de moins en moins nombreuses, retirées dans les anciens Hanamachi des quartier historiques de grandes villes telles que Nara et Kyoto. Le tourisme est encore le meilleur demandeur.