Memories of Retrocity de Bastien Lecouffe Deharme – Les Editions du Riez
Le Journal de William Drum,
À la veille de l’hiver 2004, William Drum, ex-inspecteur de la police criminelle de Chicago, est exilé par ses supérieurs à Retrocity.
Cité déchue, fermée sur elle-même, que l’on tente de faire disparaitre des consciences depuis plus d’un demi-siècle.
À l’aide d’une machine à écrire trouvée dans son appartement, William se lance dans la rédaction de son journal de bord, et s’enfonce dans la ville.
Une ville hors du temps, que les citoyens ont depuis longtemps désertée.
Une ville où la mécanique remplace les organes humains.
Une ville malade et rongée par un étrange virus.
Une ville de laquelle on ne revient pas.
Memories of Retrocity se présente sous la forme d’un journal, celui de William Drum agrémenté de superbes illustrations auxquelles le texte donne vie. Si je n’aime pas le principe, qu’on m’impose ainsi les images à la lecture, les illustrations, l’univers de l’auteur est trop attrayant, trop à mon goût pour rechigner. De plus ce n’est pas le texte qui est réellement mis en avant, ce sont les images qui nous immergent dans cette ville, nous imprègnent. Le texte sert l’image et non l’inverse, du coup j’accepte sans plainte d’être ainsi réduite au rang de simple spectateur. A la différence d’un film où les images se succèdent à leur propre rythme (bon ok on peut toujours faire pause, choisir le chapitre) ici les pages sont parcourues au gré de mes caprices. Un plus non négligeable.
" Ce livre n’est pas un roman ", ce que nous confirme le narrateur: "Je suis flic, pas écrivain" On peut y voir un parallèle avec l’auteur, Bastien Lecouffe Deharme qui est avant tout graphiste (si je ne m’abuse). N’empêche qu’on se prête au jeu, tout comme William qui endosse son rôle sans sourciller en tenant régulièrement ce journal.
Quand il pénètre dans ce qui désormais sera son chez lui, une machine à écrire trône au centre de la pièce. Aussitôt attiré par l’objet décide t-il de taper ses premières impressions. De son propre aveu, écrire le rassure, revient à créer un espace où cette ville lui semble t-il ne peut plus l’atteindre. Et pourtant, la pièce où il se trouve, la machine à écrire qu’il utilise, les feuilles elles-mêmes tous sont estampillés Hover, la compagnie qui dirige la ville.
L’humain n’a plus sa place, il est désormais l’intrus, une aberration qui ne peut prétendre survivre sans le recours à la mécanisation. La population, malade, à force de consommation finit par être dévorée par l’objet.
"Mon immeuble vide, et éloigné de tout, me préserve de cette ironie, de ces illusions. Les retro-citoyens qui vivent ici ne voient pas qu’ils s’enfoncent inexorablement. Ils évoluent aveuglément dans leur routine, sans prendre conscience de la situation. Sans comprendre que leur sort est déjà scellé. Ou alors peut-être qu’ils le savent très bien, et qu’ils jouissent des dernières volontés des condamnés … "
"(…) le virus est une manifestation de l’obsession humaine pour le matériel. "
" Avec pour seule compagnie la buée s’échappant de ma bouche et les paquets que j’avais dans les bras. "
Ecrire permet à William de se détacher du vivant, de l’environnant, il observe et juge, reclus dans sa solitude, sans réaliser que cette dernière est l’une, la? cause du virus dont sont victimes les habitants de Retrocity car c’est précisément cette liaison qu’il entretient à son insu avec l’objet, indissociable à l’acte d’écrire, qui aura raison de lui. Il tentera de le rompre. Sans succès. Se sent-il condamné? William l’est déjà bien avant son entrée dans Retrocity. Sa tentative de renouer avec l’humain se soldera par un échec, cuisant, sans issue d’où un germe d’espoir apparaîtra trop tard puis rien. L’humain, sabordé au profit de l’objet.
Un sujet intéressant donc dont l’auteur s’est emparé avec audace et originalité.